« L’Effet de Serge ».
C’est un spectacle proposé par Philippe Quesne. L’événement se déroule au lieu unique. Cet été j’avais été séduit par « La Mélancolie des Dragons » dans le Cloître des Célestins en Avignon, un jour de mistral. Aujourd’hui, j’ai l’occasion d’assister à la représentation « in-vitro », dans les coulisses. Avec Camille, avec Marilyn, avec les étudiants de l’école des beaux-arts et avec l’équipe du Vivarium, nous allons alimenter l’imaginaire de Serge. Je serai un des amis, spectateur amusé, éphémère des spectacles organisés les dimanches après-midi.
(…)
Deuxième acte, hier soir. J’entre dans le grand atelier. On installe le décor. A cour la caisse d’un chien. Derrière le lieu de Serge, je retrouve la voiture de « La Mélancolie ». Tout en haut des gradins devant la table de régie Philippe Quesne qui m’accueille chaleureusement. Erreur d’horaire, j’ai du temps. Nous nous retrouverons plus tard. Passage par la librairie Vent d’Ouest, un café, « La Folie Silaz » d’Hélène Lenoir. Arrivée de Camille, puis de Marilyn. Retour dans le grand Atelier. Nous retrouvons le plateau, l’équipe du Vivarium Studio. Parmi eux, Isabelle nous attendait calmement.
Elle nous emmène en haut des gradins pour un regard croisé : le décor face à nous, le spectacle en vidéo sur ordinateur. Présentation du propos, ce que l’on attend de nous, quand et comment nous devons intervenir. Ce n’est pas compliqué ne cesse de répéter Philippe Quesne, nous verrons cela demain plus en détails…
Mercredi 10 décembre 2008
Grand atelier, 16 heures Espace feutré, les gradins sur le côté recouverts d’un tissu noir Serge-Gaëtan s’affaire dans sa pièce blanche, dépouillée, sans images superflues, assez neutre finalement
A jardin, une table de ping-pong recouverte d’objets hétéroclites :
Une télé, des fils électriques, une raquette, des boîtes de chips, du papier ruban, des piles, des petites fiches cartonnées, un cahier…
A cour, une porte vers l’extérieur.
Entre les deux, un panneau vitré laisse entrevoir une forêt
Automne, les feuilles jonchent le sol.
L’équipe se présente au complet :
Isabelle, Zinn, Tristan, Rodolphe et Hermès le chien.
Discussion feutrée, rien de vraiment important
Tout en haut, Philippe toujours derrière sa console règle quelques effets
Avant de nous rejoindre.
Quelques étudiants arrivent impatients.
Camille l’étudiante et Marilyn l’actrice, sont là,
Il n’y a plus qu’à…
Mise au point de nos interventions.
Première séquence
L’apparition de la voiture derrière la baie vitrée, les coussins au sol,
Wagner, chevauchée des éclairs, crépuscule de clignotants
Jeu de klaxon, retour de la lumière
Marilyn mâchouillant son chewing-gum, d’abord interdite
Puis les mots, puis Philippe,
Calme, tranquille,
Conseils, suggestions.
Voiture disparue, regards vers la forêt, espace de nouveau vierge.
Deuxième séquence
Camille, seule avec Serge au nez ensanglanté, écrabouillé, enrubanné,
Un sourire doux, le geste discret.
Proposition, jeu laser, figures au mur, variation des images aux rebonds de la phrase musicale.
Des photos témoins à revoir plus tard
Elle, enthousiaste, lui, impassible
Elle oserait peut-être, il reste retranché
Un baiser entrevu et déjà perdu
Elle partie, lui de nouveau seul !
Comme dans la chanson, peut-être une autre « Passante »
Dernière séquence.
Ils reviennent tous, les amis du dimanche soir,
Tout un groupe dont je fais partie, spectacle pyrotechnique.
Gène, conversations croisées, éviter le brouhaha, les mots s’envolent
Hermès le chien est là comme dans la Mélancolie des Dragons
Impatient d’être sur scène
Autres conseils de Philippe, toujours aussi tranquille, serein, précis
Tout est possible mais on ne mélange pas les histoires…
Fin de la répétition à 17h30,
Retour vers 20 heures.
Temps toujours feutré, pas d’effervescence apparente
20 heures 25, entrée des spectateurs.
Une aventure commence,
Effet bizarre d’être un élément d’un puzzle
L’envers du décor, les aboiements d’un chien vont rythmer nos interventions
L’aventure prend des saveurs différées selon que l’on soit devant ou derrière les déambulations de Serge.
À suivre…
Je ne verrai pas le spectacle des gradins.
Du lundi au vendredi j’ai « fait l’acteur ».
Et, comme à chaque fois dans cette situation-là,
Je me suis imposé quelques rituels:
Etre là tôt, dès 20 heures cette semaine,
Traîner, humer l’air du temps dans le vivarium de Serge
Faire une forme d’inventaire des objets en attente sur la table de ping-pong
Chaque jour je m’attarde sur l’un d’entr’eux,
Les pizzas sont déjà là
Isabelle viendra les découper avec une paire de ciseaux un peu plus tard.
Consulter les livres empilés en bas du mur;
Je ne suis pas surpris par la présence de Beckett et de Perec,
Modiano aurait pu être là aussi
J’ai déjà oublié les autres auteurs.
La moquette, qui n’est pas fixée, a été nettoyée, balayée, aspirée.
Dernier plan fixe, balayage panoramique de la pièce vers les gradins encore vides.
Sortir par la baie vitrée
M’attarder au niveau de la forêt, des lauriers palmes fixés dans des tubes en ferraille
A leurs pieds des buissons du genre « Abélia » qui se dessèchent déjà
Ont-ils des contraintes avec la consigne anti-feu?
Associer les objets derrière la maison avec leur fonction dans le spectacle,
Le vélo de dame avec son siège-bébé.
Isabelle l’utilisera deux fois.
La voiture; une AX Citroën avec des traces de neige,
Tristan s’installera par la porte de droite, suivi par Marilyn
L’escabeau, les chaises, les perruques au bout de leur fil pour la scène finale
Le casque de moto pour Zinn en livreur de Pizza
L’autre casque de cosmonaute pour l’entrée de Serge.
Je dépose mon manteau et mon sac sur la chaise, qui deviendra la mienne.
Rejoindre les autres dans les loges.
(...)
Philippe viendra lui fixer le micro avec un morceau de ruban adhésif.
Le public va entrer, nous devons disparaitre.
Un regard suspendu vers les gradins vides
Sensation complexe, heureux d’être là, une pièce de lego dans un jeu d’illusions, étonné d’être encore émerveillé par ces histoires là, troublé aussi par la présence de quelques uns parmi les spectateurs, un peu inquiet sur le jeu à venir, ne pas décevoir, ne pas me décevoir, les dés sont jetés, le vin est tiré, grande confiance en Philippe et son équipe, il n’y a plus qu’à...
Il n’y a plus qu’à! Alors tranquillement je regagne l’envers du décor. Chacun à sa place, Isabelle en garde fidèle, toujours présente, Zinn plus en mouvement, disparaît, revient, s’allonge, intervient, repart.
Très vite, nous nous sommes appropriés un lieu d’attente. Marilyn dans le coin le plus sombre, puis Camille, comme un poisson dans l’eau dans une aventure nouvelle pour elle. Manifestement elle vit pleinement le fait d’être là. Les étudiants de l’école des beaux-arts, qui se sont succédés chaque jour, seront plus en errance. Chacun se met en mouvement à un moment précis pour intervenir aux aboiements d’un chien. Les premiers jours je capte des images avec mon appareil reflex: les reflets bleutés sur la voiture, l’attente de Gaëtan, les jeux de fumées dans les arbres, la ronde des visiteurs, l’embrasement de la danse des perruques en bouquet final. J’oublie que la mise au point automatique de l’appareil fait apparaître une légère lueur, intolérable dans les instants d’obscurité, Gaëtan me fait la remarque, je range l’appareil. Les autres jours cela voyage dans ma tête, un peu étranger au climat ambiant. Tous les signes d’angoisse, de fébrilité se sont évaporés. Les tensions engendrées par les aléas du quotidien sont rangées dans une autre sphère.
(…)
« Le temps passe, le temps passe nous sommes maintenant un autre dimanche ». Séquence: effets de lumières sur une musique de Wagner. Je reprends contact avec l’immédiat, avec mon urgence. Dans quelques minutes je serai physiquement concerné. J’entre alors en mouvement. Il me faut bouger, mettre le corps en tension, les sens en éveil. Les choses ont avancé, nous en sommes à l’intervention de Camille chez Serge. Je déambule sur la bande de tapis en fond de plateau. Des pas, tours, demi-tours, flexion, accélérer, regarder, être présent, se sentir pleinement vivant, attentif au moindre signe, conscient de toutes les consignes. Arrêt de la musique je retrouve ma chaise enfile mon manteau, redresse le col comme au milieu de l’hiver. Le chien suivant peut se manifester, je suis prêt. J’attends. Le chien a aboyé, j’avance, j’aperçois des gens au premier rang. Regard vers Serge, attente des autres, Isabelle et son vélo, la voiture, enfin Camille et son paquet cadeau. Rodolphe et Hermès nous rejoignent chez Serge; la vivacité du chien me fait sourire, je ne suis pas le seul dans le public on apprécie aussi. Tout s’enchaîne. Spectacle: effets pyrotechniques sur une musique de Vic Chesnutt. Je suis, je fais, je vis, j’existe, je raconte la séquence à Zinn arrivé en retard, je mange une part de pizza. Regard sur Isabelle, heure du départ, un dernier au revoir. Fin de l’intervention.
Bientôt l’embrasement des perruques, bientôt les saluts, deux rappels seulement. Ils ont le sourire discret, encore sous le charme. Ils quittent la salle. Nous, nous reverrons demain.
Textes et photos : Michel.